Catastrophe de Malpasset : (3) spectacle à Broadway pour récolter des fonds

Robert Dhery réussit à mobiliser Broadway (lire le 1er épisode) pour faire un spectacle (lire le 2e épisode). Puis le Général de Gaulle rentra en scène. Mais pas pour la bonne raison !

Troisième épisode de la série signé Jean-Pierre Violino sur Malpasset.

Un spectacle à broadway pour les victimes de malpasset

Les choses ne se déroulent pas comme prévu. Les mémoires de Robert Dhery continuent :

Le chèque du gala fut remis au consul Raymond Laporte. Le président de Gaulle se trouvait à New York. Étant donné les circonstances, Alphand et Laporte organisèrent une réception en son honneur. A l’extérieur et à l’intérieur du consulat, les atmosphères étaient contradictoires. De Gaulle, à cette époque, défendait encore le principe de l’Algérie française, si bien que Madison Square était envahi par quelques centaines d’Arabes, scandant des slogans anti-gaullistes et brandissant des pancartes pro-F.L.N. Ceci, à l’instant où les petites filles du lycée français (avec Catherine dans le rôle de choriste) susurraient de leurs voix d’anges Allons enfants de la Patrie…

De Gaulle à New York l’année suivante en 1960 – Pas de son – vidéo : British Pathé

Au consulat, la réception était du genre intime. Nous étions une quarantaine à y avoir été invités, nombre modeste pour accueillir un chef d’État. Les Branquignols étaient représentés par Colette, Lefebvre et moi. Par les fenêtres entrouvertes, nous entendions les cris « à bas de Gaulle» et « Indépendant Algery ». Voilà que ce con de Lefebvre, pris de rogne et de fièvre patriotique, tourna les talons et descendit dans la rue pour casser la gueule aux manifestants. Crime de lèse-liberté au pays d’Abraham Lincoln! On l’a retrouvé en tôle et il a fallu l’intervention d’Alphand pour l’en tirer.

Aucune description de photo disponible.
Dessin de Jean Lefebvre, Colette Brosset et Robert Dhery – source : page https://www.facebook.com/Branquignols

De Gaulle semblait totalement imperméable aux rumeurs hostiles de la rue. Il m’a même semblé que ça le faisait sourire. Il était d’une sérénité parfaite. Ce qui n’était pas le cas du valet de pied chargé de lui servir à boire — sans doute, un vieux soldat, décoré jusqu’au nombril : il tremblait de tous ses membres. Fâcheux tic quand on porte un plateau d’argent massif chargé de coupes de cristal. Pour le mettre à l’aise, de Gaulle a saisi son verre de Champagne et a eu ce mot bref : « Je vous en prie, ne saluez pas! ».

Hervé Alphand nous a présentés au général : « Mon général, permettez-moi de vous présenter mes cousins, Colette Brosset et Robert Dhéry. Grâce à eux, le drapeau français est fixé, depuis trois ans, sur la façade d’un des plus illustres théâtres de Broadway. » Sous le grand homme nous nous sentions des fourmis. Il s’est plié pour nous regarder de plus près, mi-amusé, mi-perplexe. Il devait se demander d’où Hervé, qu’il connaissait bien, avait sorti ces cousins-là. Je doute que nos noms lui aient rappelé quoi que ce soit. Mais je me trompe peut-être. De Gaulle aimait l’humour. Il n’a jamais été notre spectateur, mais qui sait? Branquignol pouvait être un mot familier à cet homme curieux de tout.

Alphand poursuivait : « … Mes cousins ont fait mieux, mon général, ils viennent de rapporter à Fréjus la somme de trente-sept mille dollars. » De Gaulle s’est redressé : « C’est trop. Beaucoup trop. »

Ça nous a coupé les jambes. Colette est devenue rouge. Que cachait cette phrase lapidaire ? De l’amour-propre ? De Gaulle a toujours trouvé que le dollar était une monnaie sale, il lui préférait l’étalon-or.

à suivre : que faire des fonds récoltés pour les victimes de malpasset ?

Pourquoi le Général a t’il eu cette réaction ? Suite dans le 4e épisode avec la fin du récit de Robert Dhéry.

Mais avant, qui étaient “les branquignols” dont parle Robert Dhéry ?

les branquignols sont une troupe de comédiens

Certains de ses membres devinrent célèbres, menée par Robert Dhéry et sa femme Colette Brosset. Ils eurent à la fin des années 1950 et dans les années 1960 et 1970 un certain succès, soit avec leurs spectacles, soit avec leurs films (« La belle américaine », « Le petit baigneur », « Allez France ! », « Al ! Les belles bacchantes » etc …). Nous y retrouvons Louis De Funès, Pierre Tornade, Christian Duvalex, Jacques Legras, Jean Lebfevre.

Le spectacle « La plume de ma tante » demeura quatre années à l’affiche à New-York et reçut un Tony Award comme Meilleure Comédie Musicale de l’année.

Image associée
La comédie de Robert Dhéry resta à l’affiche 4 ans à Broadway

LE CONTEXTE HISTORIQUE DE LA MOU GAULLIENNE Désobligeante

Le 2 décembre 1959, le barrage du Malpasset se rompait, or le 12 décembre suivant, le général De Gaulle à Saint-Louis-du-Sénégal pour la 6ème session du Conseil Exécutif de la Communauté et alors que les pays africains demandaient leur indépendance, ne faisait aucune allusion à ce drame qui touchait aussi de nombreux militaires de l’Afrique noire française19. Même silence le jour suivant lors de son allocution à l’assemblée fédérale du Mali20.

Tout le mois de janvier 1960 est consacré à des discours et messages sur le problème algérien qui accapare l’actualité. Du 18 avril au 4 mai, le général De Gaulle se rend successivement au Canada, aux États-Unis, en Guyane et aux Antilles françaises. Les 22-25 avril, il est à Washington où il est reçu par le président Eisenhover et au Congrès. Les relations Est/Ouest et la question allemande sont au centre des préoccupations franco-américaines. Le 26, il est à New-York, soit cinq mois après la catastrophe du Malpasset et la scène décrite par Robert Dhéry se déroule ce jour-là. Hervé Alphand, ambassadeur de France aux États-Unis depuis 195621, gaulliste de la première heure, reçoit le fameux chèque de 37.000 dollars. Si dans ce récit apparaît en filigrane la crise algérienne et l’anticolonialisme américain, il en va autrement des relations franco-américaines. Reçu à l’Hôtel Astor par le maire de New-York et alors qu’il a à ses côtés l’ancien président Hoover22, il répond aux discours qui lui sont adressés avec sa grandiloquence habituelle sans faire allusion à la générosité du monde du spectacle new-yorkais. Rien à San Francisco le 27 avril et rien à la Nouvelle-Orléans le 29.

Le général de Gaulle rencontre le président américain Dwight Eisenhower en avril 1960. Photo : Rue des Archives/ Picture Allian

La réflexion quelque peu méprisante de De Gaulle sur cet argent récolté pour les sinistrés forojuliens (de Fréjus) en dit long sur sa conception de l’État et sur ses relations avec nos amis d’outre-Atlantique. Tout au long de son périple américain, il ne cesse de parler d’amitié et d’alliance avec les États-Unis tout en revendiquant l’indépendance de la France. Or, pour Washington, ces notions sont inconciliables. Pour les Américains depuis le 7 décembre 1941, jour de l’attaque surprise japonaise sur la base aéronavale de Pearl Harbor, on ne peut être allié et indépendant, toutes les crises et tous les malentendus franco-américains viennent de cette incompréhension.

Les désaccords entre les États-Unis et la France gaullienne remontent à l’entrée en guerre des premiers et au discours du président Roosevelt qui ignore la France Libre, à la complaisance des américains envers les hiérarques de Vichy, à leur intention de faire gouverner la France après le débarquement par l’administration A.M.G.O.T.23, en ne reconnaissant le gouvernement provisoire qu’après la libération de Paris. Entre 1945 et 1962, la France s’empêtre dans ses contradictions propres, européennes et coloniales.

La crise de Suez en 1956 explique aussi bien la politique étrangère française que britannique depuis la fin des années 1950.

La chute de l’empire soviétique modifiant les enjeux stratégiques et géopolitiques, rendit la vision gaullienne des relations internationales obsolètes sans que nos responsables politiques en tirent toutes les conséquences jusqu’en 2007.

Le fiasco diplomatique de l’expédition franco-britanno-israélienne sur le canal de Suez a des conséquences considérables dans la politique étrangère et dans la politique de défense de ces trois pays. Si Londres, surtout après la crise irakienne de 1958, accepte désormais une alliance docile envers Washington, la lecture que les Français font de cette crise égyptienne est qu’on ne peut guère se fier aux États-Unis, qu’il faut développer une défense nationale et européenne pour équilibrer une puissance américaine imprévisible.

De Gaulle recueille cet héritage et les frustrations de la IVème République, il ne veut rien devoir aux américains, d’où cette mou désobligeante quand Colette Brosset lui tend un chèque conséquent pour les sinistrés forojuliens.

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Photo (de gauche à droite) : Louis de Funès, Colette Brosset et Robert Dhéry – photo : auteur inconnu

Dès septembre 1958, De Gaulle, alors encore président du Conseil de la IVème République, envoie un mémorandum aux président Eisenhower et au premier ministre britannique Mac Millan pour leur demander une direction tripartie (France, Grande-Bretagne et États-Unis) de l’Alliance Atlantique afin qu’elle ne soit plus dominer par les seuls anglo-saxons.

Cette proposition gaullienne reçut un accueil glacial et le président de la république en gardera un souvenir amer24. Les accords de coopération nucléaire conclus entre Kennedy et Mac Millan à Nassau le 21 novembre 1962 et l’échec relatif du traité franco-allemand, dit de l’Elysée, en janvier 1963, confirmèrent les thèses gaulliennes.

Suite du récit dans le 4e épisode

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