Catastrophe de Malpasset : (4) aide aux orphelins

Dernier épisode sur le soutien aux victimes de Malpasset par un groupe d’artistes à New York.

Cette série est signée Jean-Pierre Violino. Vous pouvez également lire le début de l’histoire depuis l’épisode 1.

Le Général de Gaulle n’aime pas le dollar, même pour les victimes de malpasset

Le Général de Gaulle venait de décliner l’offre de don aux victimes.

Robert Dhéry poursuit dans ses mémoires :

Notre fierté était tombée comme un soufflé refroidi. Tous ces copains, tous ces types qui s’étaient défoncés, pour en arriver là ! Colette n’a pas supporté. Elle est sortie du salon, s’est dirigée vers le consul Laporte. « II a raison. C’est pas à nous de payer les pots cassés, les becs de gaz et les conneries des ingénieurs. Il y a les impôts pour ça. »

Où il est, notre chèque ?

Dans mon coffre.

Bon. Combien y a-t-il d’orphelins ?

Onze, je crois. »

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Le Général de Gaulle auprès des victimes de Malpasset en 1959 à Fréjus. Photo : auteur inconnu

Alors, ma petite Brosset, ma courageuse, a fait appeler le maire de Fréjus, lui a demandé d’ouvrir onze comptes en banque au nom de chaque orphelin. Laporte a divisé les trente-sept mille dollars en onze parties égales et le soir même les expédiait par pli recommandé. »

comprendre pourquoi une telle charité américaine

La charité aux États-Unis est bien plus développée qu’en France parce que l’État est moins présent, parce qu’ils sont un pays d’essence protestante, que la communauté et le communautarisme jouent un rôle primordial. Les œuvres caritatives, philanthropiques, le mécénat privé, les spectacles réunissant des artistes et personnalités célèbres font partie intégrante de la culture américaine.

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En 1957, Elvis Presley fait campagne pour récolter des fonds contre le cancer dans les années 50. Mais non, Elvis n’a pas fait partie des artistes sur scène pour récolter des fonds pour les orphelins de Malpasset. Photo : auteur inconnu

En France il faut attendre les Restos du Cœurs avec « Les enfoirés », le Sidaction pour lancer ce type de spectacle qui fait appel aux bons sentiments, à la compassion. En 1960, l’initiative des Branquignols, d’autant plus qu’ils sont aux États-Unis, se heurte à celle organisée par l’État et le général de Gaulle fait durement ressentir à ces expatriés, son agacement. La France, et encore plus à cette époque et contrairement aux États-Unis, est un pays où l’argent doit se cacher et l’évergétisme soupçonné de quelque arrière-pensée malhonnête. Sauf, comme l’affirme l’académicien Jean-François Revel, à soutenir une équipe de football; Reims (avec les champagnes), Saint-Étienne (avec une usine) et Sochaux (avec l’automobile) en furent de bels exemples.

En 1960, la France ne connaît pas encore les grandes messes médiatiques en faveur d’actions humanitaires, des catastrophes, des maladies. Il n’y a qu’une chaîne de télévision (la fameuse O.R.T.F.) sous le contrôle de l’État tout puissant. Nous en sommes encore aux dons personnels ou à des associations qui agissent et contrôlent sous l’autorité de la République, le Parti Communiste et les Catholiques se partageant le « marché » de la charité.

La comédienne Maëlle Mietton fait un don a l association PASSADOC via l application TROCR
La comédienne Maëlle Mietton est devenue marraine de PASSADOC le 11 novembre 2019.

Le protestantisme américain, la force des média indépendants génèrent une conception bien différente de la charité. L’argent ne fait ni peur ni honte, les artistes s’investissent, sont mobilisés et savent organiser de grandes cérémonies en faveur des victimes d’un drame. Les personnalités se donnent à fond et donnent tel Bill Gates qui avec son épouse, offre pour la lutte contre le S.I.D.A. une somme supérieure à bien des budgets de pays africains. A-t-on vu en France, et encore aujourd’hui, un patron du C.A.C. 40 faire un chèque conséquent ? Ils tiennent trop à leur parachute doré et à leur stock-options !

37.000 DOLLARS Récoltés ET LES Incohérences DU TEXTE

Sans tomber dans les polémiques stériles qui concernent toujours l’attribution des dons lors des catastrophes comme nous le vîmes lors du raz-de-marée dans l’Océan Indien, il y a quelques années, il nous parait opportun de nous interroger sur cette somme.

A 500 dollars la place, même Robert Dhéry reconnaît implicitement, que vendre des billets à ce tarif là n’est pas chose aisée malgré la brochette de célébrités françaises et anglo-américaines bénévoles. Lors des galas ou des repas pour récolter des fonds lors des élections présidentielles américaines, les places atteignent facilement plusieurs dizaines de milliers de dollars sans que cela choque et les invités se plient avec grâce à cette participation financière pour leur champion.

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L’association Broadway Cares a recueilli plus 300 millions de dollars pour la lutte contre le SIDA

A 500 dollars la place, même une fois les divers frais liés au spectacle payés, la somme recueillie ne représente que 74 personnes (37.000 / 500). C’est fort peu ! Ou est-ce une erreur de chiffre ?

Au 1er janvier 1960, le nouveau franc (N.F.) naissait avec la parité de 1 N.F. Pour 100 A.F. (ancien franc). Le dollar valait à cette date 4,937 N.F.. Ainsi, les 37.000 dollars 1960 équivalaient à 182.669 N.F. ou 18.266.900 A.F..

Cette somme fut divisée pour les 11 orphelins, or il y eut 79 orphelins d’après les chiffres officiels parus. Cette différence ne s’explique pas ! Ne serait-ce point une erreur, une coquille qui n’apparut pas à la relecture du manuscrit ? Mais le rapport de 1 à 7 change les sommes distribuées pour ces orphelins. En effet, avec 11, chaque orphelins reçut 3.362,64 dollars soit 16.606,29 NF 1960, et avec 79, chaque orphelin reçut 468,35 dollars soit 2.312,17 NF 1960

Les événements décrits paraissent se succéder dans un espace de temps assez court : catastrophe, préparation du spectacle, spectacle lui-même, De Gaulle à New-York. Or, entre la rupture du barrage (2 décembre) et la venue du président de la république dans la ville américaine (26 avril), près de cinq mois se sont écoulés.

Robert Dhéry situe l’appel téléphonique de Pierre Crenesse qui le prévint à 6 heures du matin, heure locale, le 2 décembre. Or, la rupture du barrage eut lieu en début de soirée, ce jour-là et avec le décalage horaire de moins cinq heures, cela placerait la catastrophe dans la nuit du 1er au 2 décembre. Ainsi, il est plus probable que l’acteur reçut le néfaste appel le 3 et que son ami lui téléphona vers onze heures, heure française, alors que l’ampleur de drame était annoncée sur toutes les radios de France et de Navarre.

C’est terminé ? Non, pas tout à fait

Il reste les nombreux témoignages que vous avez laissés à PASSADOC. 5e et et dernier épisode de notre rétrospective Malpasset à retrouver ici.

Et n’oubliez pas : “si tu ne payes pas ton produit, c’est que le produit c’est toi”. PASSADOC ne revend pas de données personnelles. Donc la seule source de revenu pour faire vivre notre association, c’est vous ! Vos dons, vos adhésions. Et rappelez-vous qu’il y a plus d’une manière de donner : vous pouvez notamment troquer des objets. Les détails ici.

BIBLIOGRAPHIE

Et comme Jean-Pierre Violino est un pro, il cite ses sources dans la biographie. Des étudiants du Master de Valorisation et Médiation du Patrimoine de l’Université Paul Valéry de Montpellier confiaient : si y’a pas les sources, je le lis même pas !

Alors on y va :

BROCKMANN (Jorg), HARRIS (Bill), « New-York, mille monuments », éditions Mengès, Paris 2002

CHARENTENAY (Pierre de), « Un Européen à New-York », éditions Bayard Centurion, collection « Etudes », Paris 2005, 374 pages

CHARYN (Jérôme), « New-York : chronique d’une ville sauvage », éditions Gallimard, collection « Découvertes Gallimard », Paris 1994, 176 pages.

CRENESSE (Pierre), « La libération des ondes », éditions Berger-Levrault, Paris 1944

DHERY (Robert), « Ma vie de Branquignol », éditions Calmann-Lévy, Paris 1978

JEANPIERRE (L.), « Des hommes entre plusieurs mondes. Etude sur une situation d’exil. Intellectuels français réfugiés aux Etats-Unis pendant la Deuxième Guerre mondiale », thèse, E.H.E.S.S. Paris 2004

LOYER (Emmanuel), « Paris à New-York : intellectuels et artistes français en exil (1940-1947) », éditions Grasset, Paris 2005, 504 pages

MEHLMAN (Jeffrey), « Emigrés à New-York. Les intellectuels français à Manhattan (1940- 1944) », éditions Albin Michel, Paris 2005, 254 pages

NETTLEBECK (Colin), « Forever French. Exile in the United State 1939-1945 », Berg, Oxford 1991

PIERAL, « Vu d’en bas », éditions Robert Laffont, Paris 1976

POUZOLET (Catherine), « New-York, espace, pouvoir, citoyenneté dans une ville-monde », éditions Belin, Paris 2000, 348 pages

TAURANAC (John), BERTRAND (Arthus), « New-York vu d’en haut : une histoire d’architecture », éditions de La Martinière, collection « Vu d’en haut », Paris 2002, 154 pages

WEIL (François), « Histoire de New-York », éditions Fayard, collection « Histoire des grandes villes », Paris 2005, 378 pages

1– Robert Dhéry avant de former la troupe des Branquignols, joua dans des films comme « Les enfants du Paradis » de Marcel Carné, tourné pendant la guerre aux studios de la Victorine à Nice avec Arletty, Pierre Brasseur et Jean-Louis Barrault. Il tourna également dans le dernier film du grand acteur d’avant-guerre, Pierre Richard-Wilm, film ésotérique dont l’action se situe à Carcassonne.

2– Mort fin novembre 1959, soit quelques jours avant la catastrophe.

3– A.F.P. : Agence France Presse.

4– David Merrick (°22 novembre 1911 – + 25 avril 2000), célèbre producteur de théâtre américain.

5– Comparer John Wayne, archétype de l’américain, grand, solide, efficace et Pieral qui mesurait 1m23 en dit long sur la taille de Colette Brosset à côté de Gipsy Rose-Lee. Rappelons que Piéral est un acteur talentueux qui joua dans « Les Vistieurs du soir » en 1942, « L’éternel retour » en 1943, « Lola Montès » en 1955, « Notre-Dame de Paris » en 1956, « Cet obscur objet du désir » en 1977.

6– Titre original : « Let’s Make Love » – durée : 1 heure 58 – sorti aux Etats-Unis le 8 septembre 1960 et en France le 8 octobre suivant.

7– Acteur français naturalisé américain (1897-1978) qui joua notamment dans « Mayerling » , « Liliom », « Hantise ».

8– Obtint un spécial award en 1958.

9– Née le 13 janvier 1925 à Culver, Los Angeles (Californie) et décédée le 18 octobre 2000 à Woodstock (Vermont), de son vrai nom Gwyneth Evelyn Verdon, dite « Gwennie » (« le posterieur »). Elle mesurait 1m63. Si elle tint de petits rôles dans des films, elle est connue comme danseuse et comme professeur de danse pour Jane Russel, Lana Turner, Betty Grable, Marilyn Monroe ou Shirley Mac Laine.

10– Acteur britannique (1908-1990) célèbre pour son rôle de pygmalion dans « My Fair Lady ».

11– Comédienne américaine, née à Paris en 1905, qui obtint en 1934 un oscar à Hollywood.

12– Acteur et tragédien britannique (1907-1989) que l’on retrouve dans « Les hauts de Hurlevents », « Rebecca », « Henry V », « Hamlet », « Richard III », « Spartacus », « Khartoum ».

13– Archives F.B.I. – U.S. – Department of Justice – Washington D.C.. Après l’ouverture des archives soviétiques et de celles conservées dans l’ancienne R.D.A., le déclassement des archives américaines et notamment les « Donovan Papers », éclaire cette période complexe.

14– F.B.I. – Confidential – Internal Security 2/21/1944 (21 février 1944).

15 – Nous connaissons tous les 80 qui refusèrent de voter les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940 à Vichy, mais qui se souvient de ceux -qui continuèrent leur carrière après la guerre (président de la république, président du conseil, ministre du général De Gaulle- qui les votèrent. Item pour les membres de ce comité. Il est curieux que dans les biographies de personnalités, la période 1940-1942 soit souvent réduite à la portion congrue.

16– Pierre SUDREAU, « Au-delà de toutes les frontières »

17– De GAULLE, « Mémoires de guerre », tome 2, page 222 et pages 235-241.

18– Pierre PEAN, « Une jeunesse française : François Mitterrand 1934-1947 », éditions Fayard, Paris 1994.

19– Fréjus étant depuis fin 1914, le centre métropolitain des troupes coloniales puis troupes de marine. Voir le texte en préparation de Jean-Pierre VIOLINO, «De la Coloniale aux Troupes de marine, l’armée à Fréjus et Saint-Raphaël : 90 ans de présence».

20– Le Mali étant alors l’union du Sénégal et du Soudan français.

21– Né le 31 ma 1907 à Paris et décédé le 13 janvier 1994, Hervé Alphand restera ambassadeur à Washington jusqu’en 1965. Conseiller financier auprès de l’ambassade de Vichy aux Etats-Unis, il démissionne en 1941 et rejoint Londres. En 1944, il est directeur général au ministère des Affaires Étrangères, en 1950, représentant permanent de la France à l’O.N.U. et termine sa carrière comme secrétaire général du Quai d’Orsay de 1965 à 1972.

22– Herbert C. HOOVER (° 1874 – + 1964), président des États-Unis de 1929 à 1933.

23– Allied Military Government of Occupied Territories.

24– Si De GAULLE demeure un allié indéfectible des Américains lors de la crise des missiles à Cuba, il refuse de laisser entraîner l’O.T.A.N. dans le conflit vietnamien.

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