Quelques messieurs pourtant bien tranquilles.

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Le drame de Hautefaye

Le 16 Août 1870 c’est jour de foire à Hautefaye

L’ambiance est bon enfant, les chalands déambulent au milieu des étals, au foirail les maquignons vendent leurs bestiaux, il fait un temps superbe et rien ne laisse présager du drame qui va se dérouler dans ce paisible village de Dordogne.

Avant la fin de la journée Alain de Moneys, un jeune notable des environs sera frappé, supplicié et enfin brûlé vif par la foule.

Le contexte

Un mois avant, le 15 juillet, la France déclare la guerre à la Prusse et dès le 5 août les premières informations de défaites sont annoncées sur le front de Lorraine à Wissemburg, Forbach et Froeschwiller.

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Afin de préserver le moral national le gouvernement instaure la censure et restreint l’information, ce qui a pour conséquence comme toujours en pareil cas de laisser libre cours aux rumeurs les plus folles, à savoir que les espions Prussiens sont partout et que la noblesse et le clergé conspirent contre l’Empire afin de rétablir la monarchie; ce qui est bien évidemment sans fondement.

Les fausses nouvelles n’ont pas été inventées au XXI° siècle, seule la rapidité de leur propagation a changé

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Cette ambiance délétère provoque l’inquiétude de l’opinion et même des mouvements de peur collective, plusieurs incidents ont lieu dans le pays. Quelques jours auparavant un employé des chemins de fer est molesté à Châtellerault car on le soupçonne d’être un espion à la solde de l’ennemi.

A Hautefaye la population est inquiète, il n’a pas plu depuis plusieurs mois, les températures élevées nuisent aux cultures et au bétail. D’ordinaire les ventes de cette foire sont bonnes mais cet été là elles s’avèrent particulièrement mauvaises. A mesure que la journée avance les esprits s’échauffent sous l’action conjuguée du vin et de la canicule.

Les protagonistes de l’affaire

Alain Romuald de Moneys d’Ordières

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La victime, Alain Romuald de Moneys d’Ordières est âgé de 32 ans, il a été du fait de sa constitution physique exempté des obligations militaires, et par conséquent de la conscription qui survient en 1870 à la suite de la menace prussienne, cependant il a fait lever cette immunité pour s’engager volontairement et doit bientôt rejoindre son unité sur le front de Lorraine.

Il est le fils de l’ancien maire de Beaussac dont il est actuellement le premier adjoint, célibataire, il gère les 80 hectares du domaine du château de Brétanges, c’est à ce titre qu’il se rend à la foire d’Hautefaye en ce 16 août.

Les responsables du drame sont essentiellement des villages alentours. Le principal meneur François Chambord est le maréchal ferrant d’un village voisin ne connaît pas la victime, pas plus d’ailleurs que ceux qui ont participé au lynchage.

Ceux qui vont tenter de protéger et défendre la victime dont l’abbé Victor St Pasteur, sont de Hautefaye

Premier incident

Camille de Maillard de Lafaye, cousin d’Alain de Moneys est présent sur la foire alors que ce dernier n’est pas encore arrivé, il est connu pour ses positions légitimistes et donc très mal vu en cette période de tension.

Après avoir lu les nouvelles, Maillard annonce que l’armée française est obligée de reculer. Il est alors pris à partie par des habitants qui l’accusent de colporter de fausses nouvelles et d’être à la solde des Prussiens. Les esprits s’échauffent, des mouvements d’hostilité à son encontre deviennent de plus en plus vifs toutefois il réussit à prendre la fuite grâce à l’intervention de son métayer.

Lors du procès qui suivra le drame, l’un des meurtriers d’Alain de Moneys, François Mazière, expliquera que quelques jours auparavant, le 9 août, pendant une foire à Charras, il a entendu Maillard déclarer : « L’empereur est perdu, il n’a plus de cartouches. » et regrettera que ce jour-là il n’ait pu lui « faire son affaire », il avouera être venu ce 16 août à Hautefaye pour en découdre avec celui qu’il considère comme un traître. 

La préméditation paraît donc évidente. La fuite de Maillard a obligé les habitants suspicieux et échauffés à se rabattre sur Moneys, noble lui aussi et donc à leurs yeux traitre à l’Empereur, en faisant une victime de substitution.

Deuxième incident

Ignorant tout de l’incident impliquant son cousin, Alain de Monéys arrive à la foire en début d’après-midi, après la fuite de Camille de Maillard.

Aussitôt il est pris à partie par des paysans armés de bâtons. S’enquérant de la situation on lui apprend que son cousin a crié « A bas Napoléon ! » Refusant de croire à ces propos, de Moneys tente de vérifier auprès de la foule si d’autres personnes ont entendu son cousin déclarer cela.

Les esprits surchauffés par l’alcool certains paysans le confondent avec Maillard et commencent à lui porter les premiers coups déclenchant ainsi la curée. De Moneys tente de s’expliquer, leur fait remarquer qu’il a renoncé à son exemption de service, qu’il s’est engagé volontairement et qu’il part dans quelques jours sur le front mais rien n’y fait.

Le supplice

Tentative de pendaison

Alain de Moneys est entouré par des paysans de plus en plus hargneux. L’un d’eux, Buisson, crie : « C’est un Prussien, il faut le pendre, il faut le brûler ! » Les frères Campot portent les premiers coups ; c’est l’acte qui précipite la curée.

Tentant de se protéger tant bien que mal de Moneys crie « Vive l’Empereur ! » L’abbé Saint Pasteur armé d’un révolver tente de le dégager mais il est pris à partie à son tour et se réfugie dans le presbytère où il tente d’attirer les hommes en leur proposant de venir boire à la santé de l’Empereur, ce que certains acceptent.

Pendant ce temps les coups pleuvent sur la victime, coups de bâton, de sabots, d’aiguillons. Le neveu du maire tente de faire entrer de Moneys chez son oncle mais celui-ci refuse de peur que les forcenés ne saccagent sa maison.

Le groupe, sous la direction de Chambord qui se proclame adjoint au maire alors qu’il n’est pas du village, déclare qu’il représente l’autorité et ordonne de pendre la victime, ce qui est fait mais la branche sur laquelle on a passé la corde casse.

La torture

De Moneys est alors trainé chez le maréchal ferrant où on l’attache avec des sangles et on continue de le battre violemment au visage et aux jambes à l’aide de divers outils.

Sur l’insistance des protecteurs de la victime le maire consent à l’enfermer dans l’étable où il est soigné, à ce moment là il se croit sauvé et propose d’offrir une barrique de vin à ses assaillants dans l’espoir de les calmer.

Mais pendant ce temps Chambord continue d’haranguer les hommes qui commencent à se calmer et la furie reprend, la porte de l’étable ne résiste pas bien longtemps et la curée reprend de plus belle. Selon certains témoins la tête de Moneys « ressemble alors à un globe de sang »

Il est porté vers le foirail mais dans un sursaut inattendu échappe à ses bourreaux, s’empare d’un aiguillon et tente de se protéger mais il est vite désarmé, il tente alors de se réfugier sous une charrette.

Dès cet instant c’est sur un moribond, voire un cadavre que la foule s’acharne pendant dix minutes, deux hommes le prennent chacun par une jambe comme pour l’écarteler mais ne parviennent qu’à le déchausser.

La crémation

On traine le corps vers le lieu où l’on a coutume de faire le feu de la St Jean, sous la direction de Chambord on jette des fagots de bois sur la victime dont certains assurent qu’elle vit encore, Chambord prend une botte de paille à un paysan en lui assurant qu’elle lui serait remboursée par l’Empereur. Il envoie des enfants chercher des allumettes et leur fait mettre le feu au bûcher.

Certains plaisantent « regardez comme ça grille bien un traitre », un autre allume sa cigarette avec une braise.

Le supplice aura duré plus de deux heures.

Les réactions et conséquences

Le soir du drame certains protagonistes se vantent de leurs actes, d’autres espèrent une récompense et croient qu’ils seront payés par l’empereur pour avoir brûlé Moneys.

Les châtelains du voisinage, épouvantés par l’affaire, craignent le retour des jacqueries et certains, dont les Moneys, se constituent en groupes de défense pour faire face à une éventuelle attaque des paysans.

Deux jours après les faits, la presse régionale se fait l’écho du drame parlant d’actes de sauvagerie, de barbarie, Le Nontronnais utilisant le terme de « cannibales » pour qualifier les paysans car l’un d’eux avait déclaré lors de la crémation “qu’il était dommage de perdre toute cette belle graisse” ce qui vaudra à Hautefaye le surmon de “village des cannibales” 

L’affaire remonte jusqu’au gouvernement. Le 20 août, le ministre de l’Intérieur Henri Chevreau condamne le supplice.

Le 27 août, en vertu d’un décret daté du 24, Bernard Mathieu est destitué en public de sa fonction de maire par le préfet de la Dordogne pour sa passivité.

Alcide Dussolier sous-préfet républicain de la Dordogne, voyant dans ce village un foyer de rébellion bonapartiste, conseille au préfet de rayer Hautefaye de la carte en effaçant son nom et en l’annexant comme arrondissement à Nontron.

Enquête, arrestations et procès

Dès le 19 Août Charles Boreau-Lajanadie, procureur général de la cour impériale de Bordeaux se déplace sur les lieux du meurtre et se charge de l’instruction de l’affaire qui permet l’arrestation de pas moins de 21 personnes qui comparaissent au tribunal de Périgueux du 13 au 21 décembre 1870.

Dès le premier jour Chambord, Buisson, Campot, Piarrouty et Mazière sont reconnus comme auteurs d’homicide commis avec préméditation, les autres protagonistes sont accusés de complicité pour avoir aidé les auteurs du meurtre et les avoir encouragés.

Lors des témoignages l’accusation et la défense accusent l’ancien maire Bernard Mathieu de son manque de courage et sur le fait qu’il n’a pas porté assistance à la victime

Arrive le 21 décembre, Chambord, Buisson, Campot, Piarrouty et Mazière sont condamnés à mort, les autres peines vont de la déportation à vie au bagne de Nouvelle-Calédonie à 10 ans de travaux forcés et à de la prison.

Le 25 décembre quelques jours après la fin du procès, l’ancien maire de Hautefaye, Bernard Mathieu probablement pris de remords décède d’un arrêt cardiaque.

Le 26 janvier 1871 le pourvoi en cassation des quatre condamnés à mort est rejeté, ainsi que la demande de grâce qui parvient le 30 janvier au ministère de la Justice.

L’exécution

L’échafaud est dressé le matin du 6 février dans la halle aux bestiaux de Hautefaye. Les quatre condamnés sont décapités dans l’ordre suivant : Piarrouty, puis Buisson, Mazière, et enfin Chambord qui, voyant tomber les têtes de ses acolytes aura eu le temps de regretter d’avoir appelé au meurtre de Moneys

Claude Boyer


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