Souvenirs d’enfance.

Je me souviens de la cueillette des olives à Cotignac.

Nous partions du Puget dans la Juva 4 que mon grand père conduisait, mon père à ses côtés. A l’arrière il avait bricolé deux sièges amovibles pour ma mère et ma grand mère, ma mère tenait ma soeur sur ses genoux et moi j’étais assis sur les sacs de jute tout à l’arrière de la camionnette en compagnie de Bibiche et Marquis les deux Beagle. Nos bagages, le landau de ma soeur et mon lit étaient empilés sur “l’impériale”, c’est ainsi que mon grand père désignait la galerie, tout ce fourbi attaché à l’aide de fortes cordes de chanvre.

On n’ose imaginer prendre la route aujourd’hui avec un tel équipage qui filerait des sueurs froides au plus débonnaire des pandores.

A l’époque c’était toute une épopée que de partir aussi loin. Le voyage me paraissait bien aventureux d’autant plus que les routes n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui et la voiture surchargée ne dépassait guère les 50 km/h à fond de sa troisième vitesse.

Invariablement nous nous arrêtions à Taradeau acheter le pain pour le repas de midi car mon grand père connaissait le boulanger. Je crois qu’il avaient partagé les mêmes tranchées quelque quarante ans auparavant. Moi j’avais droit au pain au chocolat que je dégustais sous les yeux envieux des deux chiens. Pour faire durer le plaisir je le détachais en fines lamelles jusqu’à ce qu’apparaisse le petit bâtonnet de chocolat que je léchais comme une glace. Ensuite on attaquait la montée vers Lorgues, la petite Juva 4 souffrait mille morts sous le poids de ses passagers et de son chargement. Enfin, après Lorgues la descente vers Carcès lui permettait de reprendre son souffle mais il fallait descendre prudemment, les quatre freins à tambour n’étaient pas vraiment conçus pour retenir un tel poids et risquaient la surchauffe.

Nous arrivions à Cotignac en fin de matinée ce qui me fait dire que nous mettions entre trois et quatre heures pour couvrir les soixante kilomètres de l’odyssée.

Une fois arrivés mon grand père et mon père déchargeaient tout le barda, montaient le bois de la remise, allumaient le feu dans la cheminée et allaient chercher l’eau à la fontaine dans deux grands jarrons verts émaillés car la maison n’avait pas l’eau courante, tandis que ma grand mère, ma mère et moi allions faire les premières courses du séjour. J’y allais volontiers car je savais que monsieur Titi, l’épicier, me donnerait une sucette au caramel Pierrot Gourmand dont le présentoir était placé à côté de la caisse où il passait ses journées. Je n’ai jamais su son nom, c’était M et Mme Titi, allez savoir pourquoi ?

J’aimais bien jouer dans la remise pleine de trésors, de vieilles malles poussiéreuses, d’outils qui n’avaient pas servi depuis bien longtemps et qui disparaissaient sous la poussière et les toiles d’araignées.

Aux murs pendaient les harnachements et colliers des chevaux ou des mules du temps passé et leur mangeoire contenait encore un foin qui avait dû être récolté alors que ma mémé était enfant.

Le soir je regardais le feu essayant de compter ce que j’appelais “les petits soldats” c’est à dire les petites étincelles qui s’envolaient vers l’âtre quand crépitait un morceau de bois bien sec, ensuite nous allions nous coucher très tôt car bien sûr il n’y avait pas de radio ni de télé et de toute façon il n’y avait pas l’électricité non plus. Ma grand mère avait hérité cette maison de village de ses parents et nous n’y allions qu’une fois l’an pour les olives. Parfois mon père et mon grand père discutaient dans la lumière blafarde de la lampe tempête en buvant un verre de vin, mais je n’avais pas le droit d’assister à la discussion des grands à laquelle je n’aurai d’ailleurs rien compris.

Le lendemain de notre arrivée nous allions à pied aux oliviers, mon père poussant le charreton avec le matériel et le repas de midi. Une fois sur place ma mère nous installait ma soeur et moi sur une couverture. J’avais la garde de ma cadette qui commençait à marcher et aurait tôt fait de s’échapper et de se blesser, le terrain étant à flanc de colline et les faïsses d’une bonne hauteur.

Après avoir étalé de grandes bâches sous les oliviers la récolte commençait, mon père et mon grand père juchés sur de grands escabeaux tandis que ma grand mère et ma mère cueillaient les olives sur les branches basses. Ensuite on mettait les olives dans les sacs de jute qu’on apportait au moulin sur le charreton, là c’était mon grand père qui se mettait aux brancards et mon père attelé à l’avant par une large courroie de cuir passée sur son épaule tirait dans les côtes tel un mulet dont il imitait le braiement ce qui ne manquait pas de me faire rire aux éclats.

J’aimais bien aller au moulin, je me souviens encore de l’odeur suave et odoriférante qui y régnait. Ma grand mère étant originaire de Cotignac nous rencontrions les cousins que nous ne voyions qu’une fois l’an, un peu comme les vendanges quand nous croisions les cousins de Roquebrune à la coopé de Puget mais les effusions étaient les mêmes que si nous nous étions vus la veille.

J’avais droit au sempiternel “Dis bonjour au monsieur” invariablement suivi du non moins incontournable “Mon Dieu qu’il a grandi” tandis que ma sœur enfouissait son visage dans le cou de ma mère refusant la bise du cousin à la joue râpeuse qu’elle ne connaissait pas.

Ensuite nous nous séparions pour une année entière, jusqu’aux prochaines olives à moins qu’un enterrement n’oblige mes parents à faire un saut entre deux, mais là ils faisaient l’aller retour dans la journée car l’Aronde SIMCA Elysée de mon père était bien plus rapide que la Juva 4.

La propriété n’était pas bien grande et deux jours suffisaient pour faire la récolte. Parfois nous faisions un saut à la source de la Cassole à St Martin.

Ma grand mère a toujours dit que la source devrait être à elle car sa mère s’appelait Martin et était d’une famille paraît il aisée ayant pas mal de biens sur la commune, seulement voilà, son père est mort en 1920 les poumons brûlés par les gaz inhalés au front et sa mère s’est dit on laissée mourir de chagrin. Ma mémé qui avait 8 ans a été confiée à des oncles et tantes qui l’ont aussitôt placée en orphelinat. Elle avait comme marraine de guerre la nièce d’Alphonse Karr qui a d’ailleurs toujours veillé à ce qu’elle ne manque de rien bien qu’elle ne l’ait jamais rencontrée.

A sa majorité elle en est sortie totalement dépouillée de son héritage sauf les oliviers et la maison. Enfin c’est du moins l’histoire qui circulait dans la famille.

Ensuite on rechargeait tout et on rentrait au Puget mais sans s’arrêter à Taradeau où je pensais au pain au chocolat auquel j’aurai droit au prochain voyage.

J’étais quand même bien content de retrouver l’électricité et l’eau au robinet. Pour le reste ça ne changeait pas beaucoup, on se lavait aussi à l’évier et le cagadou était au fond du jardin habité par les mêmes araignées et lézards…

Il est passé pas mal d’eau sous les ponts depuis cette époque et les villas “Mon rêve” ont depuis longtemps remplacé les oliviers dont je ne saurais d’ailleurs pas retrouver l’emplacement aujourd’hui.

La maison aussi a été vendue depuis longtemps, quand je vais à Cotignac je ne manque jamais d’aller la voir accompagné par les fantômes du passé…

Claude Boyer

Photos : auto4a-wikipedia-ebay-pinterest-artmajeur-provençalbox-tripadvisor-facebook

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% commentaires (1)

Claude Boyer Claude Boyer

Bien agréable lecture… Merci !
Jeanne Monin

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